de Albert Lewin
Un film très « art moderne », tout en décor, faux et exposé tel.
Lewin s’intéresse au monde comme une série d’objet à manipuler. C’est bien sûr le thème du film, où l’ambition est un changement de décor. Les objets chez Lewin sont porteur de beaucoup plus de valeur, d’âme et d’échos que les êtres vivants, sauf quand ceux-ci deviennent (volontairement ou non) des marionnettes, et qu’il peut saisir leurs dernières lueurs d’humanité avant leur paralysie réifiante.
Pas de mise en scène chez Lewin, le décor vaut comme tableau, tableau vivant, avec de temps en temps un petit prélèvement pour vérifier le statut d’objet. On s’en aperçoit devant ces raccords mal ménagés et maladroits (une petite fille joue du piano et fretille, elle est immobile dans le plan suivant) qui montrent bien que Lewin s’en fiche complètement de raccorder dans le mouvement, qui ne l’intéresse pas le moins du monde. Mais on est pas non comme chez Sternberg dans une sublimation par la lumière (ici elle est étale, fade, assez laide pour tout dire : une lumière d’exposition) et un saisissement charnel par les costumes, un jeu de séduction et de dupe sur les places d’un échiquier brûlant. Chez Lewin, tout est exposé, bête dans sa concrétude d’objet. Ce qui pourrait être désolant, pénible, devient assez fascinant au fur et à mesure qu’on comprend être dans une sorte de musée Grévin du cinéma; Toutes les images de Lewin sont symboliques, scénaristiques : elles ne chargent soit des objets (le portefeuille avec la photo, une mêche de cheveux enroulée sur une boutonnière) soit des visages transformés en objet (une larme qui coulent sur un visage totalement neutre et inexpressif, un plan bref de chat au milieu d’un bal au début du film, totalement incongru, et dont on ne fait rien). Certaines scènes, éclairées crûment en « blanc et noir » font souvent penser à la Gertrude de Dreyer. Les personnages parlent souvent « tout seuls » (1:16:32).
Ce qui est amusant, c’est que George Sanders, le buste droit et les manières roulantes, trouve tout à fait sa place là dedans, et la joue parfaitement, et que les autres acteurs, plutôt, s’accommodent bien aussi de ce raidissement où la netteté de l’image ou de l’expression vaut plus que tout trouble possible. Bien sûr, dans ce corsetage de tout et tous, aucune sensualité, pas de vie, mais quelque chose du pantin de Kleist : relai du dieu et pourtant rien de plus. L’acteur est, au sens propre, un épouvantail, comme dans le plan de l’église (1:02:14) où un homme les bras en croix reste totalement immobile tout la durée des plans.
Du Sexe, au fond, du sexe cru sur tout ça, de l’obscène, comme le tableau La Tentation de Saint Antoine de Max Ernst, remugle affreux, à la Lovecraft, sexe féminin ouvert de l’intérieur et seule image en couleur du film, exposée comme telle, avec un petit arc d’ampoules électriques autour (pourquoi ?).
Tout cela « marche » mieux dans un film fantastique comme Pandora ou à tonalité fantastique comme Dorian Gray. Ici, dans un film « historique », qui induit un peu de « réalisme », c’est vraiment bizarre, mais pas inintéressant du tout. La raideur du film créé un effet étonnant de conte et de marquage, mais qui n’est pas un marquage d’auteur, plutôt un dessin, un empâtement qui met des majuscules à des endroits inédit. Le film pourrait se passer tout à fait de sa « forme » et en même temps, celle-ci déplace le scénario sur un terrain autre, sans pourtant changer du tout ce scénario.
C’est le rêve hollywoodien par excellence : que le metteur en scène ne change rien à l’histoire, tout en la dotant d’un supplément esthétique. Manière de comprendre le « ars gratia artis » de la MGM: l’art est pour les artistes, le scénario est pour le public.
DeMille, qui s’y connaît en monumentalité et en décor, est à la fois beaucoup plus pervers que Lewin, moins artiste (même s’il fait aussi de petites vignettes), mais un poil plus transcendant. Lewin annonce vraiment le postmodernisme, le monde de la marionnette, le medium froid qui va remplacer la télévision : le musée.
Drôle d’ambition de rajouter partout des fenêtre qui n’ouvrent sur rien, des lieux qui ne raccordent jamais. Il y a peu d’émotion dans ses films, et en tout cas pas des émotions humaines, pas des émotions partageables.