de Samuel Fuller
Ce petit film est un grand film. Pilote d’une série jamais faite, on le regrette tellement ces 25 minutes dépassent à peu près tout ce qu’on connaît dans ce genre comme émotion, intelligence et art de la mise en scène.
Un petit groupe de soldats se traîne dans un paysage désertique qui pourrait bien être la lune. On arrive à les distinguer, l’un d’entre eux a une voix criarde. Entrecroisement entre gros plan de visages et panoramiques de suivi sur des corps lourds.
La figure du retournement, propre à Fuller, s’épanouit incomparablement. On la retrouve dès les premiers plans, avec ce moment saisissant où un soldat rampe à reculons, nous tournant le dos. Le chien, qui devient la figure par excellence de l’humanité des hommes (comme il le sera dans White dog), devient une sorte d’agent double, avec son amour de proximité. Fuller en fait (comme chez Lang dans Les Milles yeux) un veilleur. Il s’agit évidemment d’un « berger allemand », c’est-à-dire ce qui maintient la cohérence du troupeau. Les personnages s’interrogent gravement : « il ne sait pas qu’il travaille pour les nazi ». Le chien est « sans défense », personne ne veut le tuer : il est un corps exogène de la guerre.
Fuller désinvesti, lave les signifiants : celui du chien si associé à la terreur nazie, mais aussi les douches. Vide, puis allumée sur un soldat américain pour rire. Puis la douche est prise par l’américain, vite rejoint par des allemands. Camaraderie de la nudité, homoérotisme à la base et que Fuller connaît bien. Mais c’est l’uniforme, l’habit qui le fait repérer. La guerre n’est que cette habitude, c’est-à-dire un système abstrait.
Le film oscille entre comique et défiance, tout comme le chien, pour signaler ce qu’il voit, fait des allers-retours. Scène démente des « sauts » communicationnels entre le chien, celui qui l’observe à la longue vue, ceux qui donnent l’ordre de tirer les bombes, et les américains sur le terrain. Petits bouts d’espace, boyaux (le film est plein de couloirs) reliés par cette grue symbolique de la guerre qui fait exister tout cela.