Film phrases

Les Cloches de Sainte-Marie (1943)

de Leo McCarey

La première chose qui frappe dans le film, c’est la durée des plans, des scènes. Un souffle inédit qui transforme en profondeur le jeu d’acteurs, la manière de parler, les expressions du visage… Qui engage, plus que tout, à l’attention. Il est nécessaire de partir de ce que l’on observe et surtout pas des a priori sur telle ou telle situation. McCarey parle à un spectateur bienveillant et attentif, en pleine disponibilité. Il ne joue pas avec lui, il discute.

La seconde chose qui frappe, c’est le rapport aux enfants, aux tous petits (la scène déstabilisante à tous points de vue, de la naissance de Jesus en pièce de théâtre). Qui dit enfant dit animaux, et le chien a aussi sa place. Mais les enfants, ici, ne sont pas des agités pétant la forme, des monstres abstraits à la Hawks, des petits singes savants des contrepoints des adultes ou même des enfants en eux-mêmes : ce sont avant tout des corps d’enfants, ingrats (le défilé des filles de 14 ans, ce ne sont pas des prix de beauté; les garçons sont de tailles différentes, certains plus gras etc.) tous différents, maladroits.

D’où la troisième chose qui frappe, ce mélange très délicat de burlesque (attitude du corps) dès qu’un plan large apparait, et d’émotion dès qu’un gros plan est là. L’émotion est contredite par le burlesque, avec un jeu extrêmement raffiné de communication de vase, entre ce que l’on sait ou non, ce qui est dit et pas encore. McCarey n’est pas l’homme de la contradiction terme à terme, il est l’homme des sommes ou des divisions, des supports (que pouvez-vous supporter ?). Il y a toujours ces moments bouleversant où quelqu’un ou plusieurs personnes prennent tout sur eux.

Celui qu’il m’évoque le plus, c’est Chesterton : cette sorte de conscience lucide, bourrue mais aimante et claire du pas de côté.

On a jamais vu un film comme ça car au fond, le catholicisme est pris si sérieusement qu’il dépasse la sécularisation de celui-ci, c’est-à-dire n’a plus de valeur en tant que doctrine, non plus qu’en tant que foi (on voit des personnages croirent, on n’a pas à croire nous-mêmes, sinon « à l’humain » ou a minima aux personnages), mais comme sécrétant ses propres manquements: il y a une certaine violence dans l’exercice de cette foi, une cruauté qui pourrait aller contre (pour les angélistes) même l’esprit général de la foi: la violence physique (ne plus tendre la joue gauche) dans sa confrontation avec l’enseignement, la violence morale (muter « pour son bien » physiologique la mère Benedicte), la violence sociale, la culpabilisation etc.

La légereté du film tient à cette mise en scène simple « limpide » dit Lourcelles, avec peu de plan, beaucoup de regard et des visages reposés. on a l’impression que les acteurs ont tout leur temps, qu’on échappe totalement au rendement narratif et émotionnel traditionnel. McCarey annonce la durée moderne, le réalisme de celle-ci. Réalisme est le mot qui est au fond le plus évident et le plus paradoxal de ce cinéma. Ce n’est pas le réalisme de Ray dans La Maison dans l’ombre, dont la maladresse tenait à cette incomplétude, à ces mouvements aberrants, bizarres, à cette prise à témoin de l’aveugle et du sentiment (moderne par excellence comme disait SD) de « non assistance à personne en danger »; le réalisme de McCarey tient à cette musique de ceux qui échangent: il y a toujours réciprocité dans l’échange, et une réciprocité inégale, ce qui est donné d’un côté n’est pas récupéré et égal à ce qui est donné de l’autre – mais tous donnent.

Dieu = l’inconscient, semble dire à certains moments le film. McCarey est sans doute trop américain pour croire à l’inconscient, mais suffisamment attentif pour que son « chacun à ses raisons » ne renvoient pas à des actes divergents, mais à des modes de pensées et des psychologies qui prennent en compte tout ce qui les entourent, et en proviennent plus qu’elle ne s’y impose. Les différents traitements éducatifs entre le curé et la soeur supérieures sont incomparables, ils s’opposent (y compris gender-ment) et pourtant aucun n’est mauvais, ni meilleur que l’autre. Les personnages de McCarey, de ce fait, sont uniques et inoubliables, sans jamais êtres exceptionnels. Ils sont exceptionnels par la manière dont on les saisit, en direct, éprouver des émotions.

Le film est tourné en gros-plan et plan moyen, sans rapport particulier à l’espace. McCarey ne fait jamais un plan symétrique (leçon à donner à Dolan), il veille à l’équilibre et la pluralité de ce qui apparait dans le champ, et ses dispositions ont toujours quelque chose d’élégants et de non-rangé, un charme.

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