Ted Fendt
Faire un film comme une dissertation (sur le classicisme)
viser le général par addition de blocs de savoir, minutie minutée, chaque plan en regard servant d’illustration et d’aération.
Discours universitaire, exercice universitaire qui conduit par la main le savoir au savoir ; le corps sous le boisseau, donné aux autres par obligation.
Montrer des intellectuels obstinément non-beaux dans un exercice pépère où le cadre de la parole n’est pas malmené. TF a trouvé ici, dans ces cercles courts, trajectoires elliptiques raffinées par la culture d’individus maintenus dans une relative apathie, un sujet jamais-vu – parce qu’a priori (comme tous les sujets jamais-vus jusqu’à ce qu’ils le soient) échappant au domaine du spectaculaire – celui des intellectuels qui ne portent pas leur mots devant eux pour les foules mais sont saisis dans leur intériorité sagace.
Tout sujet jamais-vu postule en miroir une espèce menacée que le spectaculaire vient sauver aux yeux des autres (ça existe).
Donc : problématiques de la réserve (y compris au sens animalier) et de la distinction : faire figurer ces corps sûrs, sans affectation, mais avec délicatesse, la mise-en-scène comme une manière de montrer comment ceux-ci traitent leur corps en tant que meubles.
D’où la totale déprise temporelle du film (les meubles n’ont pas d’âge et la laine polaire semble éternelle, le brun, le rouge ou le métal des lunettes), qui pourrait se dérouler dans toutes les années du XXe-XXIe du siècle.
Réponse des USA à l’Europe (j’imagine TF agacé par cette remarque) : Pierre Léon & Skorecki (Les Cinéphiles) & Biette & Straub & Huillet, mais rien de tout ce qui était engagé dans ces films n’est récupéré. Car ces gens-là ont toujours rejeté, plus ou moins, la culture universitaire. TF, lui, garde seule la forme, seuls les objets (gens, musique, nuques) de ses prédécesseur, mais pas l’idéologie (et tant mieux !). C’est aussi ça la réponse « classique » : la forme comme ce qui se passed’un pays à un autre, avec l’information (id est l’idéologie : une “fierté nationale”) qui se perd en cours de route, donc qui se passe de l’idéologie. TF assume l’hyperspécialisation de ses sujets en tant qu’hyperspécialisation, un peu à la manière de Bolaño mais sans l’afféterie du supersavoir ; son film nous laisse au calme. Retrait de la politique (le classique assume d’aller dans le fond, au dernier plan, en négligeant le pouvoir c’est-à-dire au fond quand même l’acceptant tant qu’il ne déborde pas), film de retrait qui cherche l’ombre pendant que les cahots du spectaculaire s’ébattent avec Trump – la disproportion avec ce que doit être ce pays n’en est que plus surprenante, même lorsqu’on pense aux obsessions minoritaires tenues en épingle qui entoilent les universités type Yale (suivant ce que j’en sais des récits de P.V.-O.).