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Réflexions sur les questions de sexes et de regards

Au fond toutes ces questions du male/female gaze rejoignent celles de la suspicion idéologique des 70’s. Réfléchir sur le male gaze, sur l’identité supposée néfaste d’un porteur de regard, c’est revenir aux écrits de Daney (« Sur Salador ») ou Comolli (Technique et idéologie).

Évidemment comme il y a eu une éclipse de la militance entre cette génération et nous : cette question refoulée nous fait retour et comme tout retour, elle se déplace d’un cran sur ce qui était justement le refoulé d’alors: la sexualité.

Car au fond il s’agit d’interroger anxieusement (tout comme les maos s’interrogeaient anxieusement : untel, moi, mes parents sont-ils réactionnaires?) quelque chose qui n’est pas inconnu et à découvrir (analyse sur l’œuvre), à fabriquer, à faire: mais à trouver, à retrouver donc. L’accusation est portée en avant, elle détermine le procès à venir et ses modalités. Il y a une « grille de lecture »

Ce qui est beau dans la critique, l’idée de l’analyse, c’est qu’on ne sait pas ce qu’on va trouver avant de le trouve. Évidemment, il y a de l’idéologie qui passe là dedans, mais aussi de la culture, et comme dans toute culture, qui ne peut être que personnelle, de l’histoire et un mode de raccrochage à l’histoire majoritaire.

Ce qui me gêne dans ces approches est qu’elles ne font entrer l’intime que dans le général, comme la sociologie le fait. C’est une manière très défensive d’assumer sa singularité.

C’est sans doute cela qui me gêne le plus dans le climat actuel : tout dandysme est suspect quand il n’est pas interdit. La bienveillance pour l’autre bute sur son altérité, qu’il faut réassigner dans un genre, un mode d’existence qui se confond de plus en plus avec le domaine légal ou moral. Mon amoralisme individuel le supporte mal, mon attrait pour la psychanalyse le trouve déplorable. On ne peut pas 1) se croire du côté du Bien 2) croire que les autres maîtrisent tout de leurs actes et leurs mots. On ne peut pas accuser les autres sans, à un moment, se mettre en cause soi-même, ne serait-ce que se demander dans quelle mesure sa participation dans le rôle de la supposée victime complète, disjoint, perdure la relation alors et ce qu’elle est devenue.

Il y a aussi, troisième chose qui me gêne (et là Foucault revient), c’est la médiatisation de toutes ces choses. Ce n’est pas sans lien avec le reste, bien sûr. La réformation en cours est bizarre. Elle trouve des échos dans « l’opinion », la presse dont je ne suis pas certain que les crieur.ses en soit si heureux, ou qu’il aient l’impression que ces échos sont les mêmes que leurs ressentis à eux.

Il n’est pas hasardeux que le début de me-too se fasse sur une sphère publique du cinéma, c’est-à-dire quand même l’espace du glamour, du spectacle total. La politique était cet autre spectacle lors de l’affaire Levinski, dont se gaussait tant les français à l’époque. On en revient, de loin.

Weinstein n’était pas sans doute quelqu’un de bien sympathique. Ses accusatrices, dans ce contexte, ne peuvent pas l’être non plus car l’affaire et ses dessous ne sont pas beaux. Mais moi, ai-je envie de voir ça ? Dans quelle mesure ce « fait divers », me concerne ? Dans cette affaire, ce qui est gênant, ce n’est pas la « vérité » des faits (les témoignages, leur nombre sont accablants), c’est la réparation de ceux-ci : quelle réparation ? La seule chose sur laquelle tout le monde semble s’accordait est : qu’on expose ces salauds, qu’on les fustige, qu’on dise leur faute.

Ce que je ne supporte pas comme fustigation : la dénonciation des différences d’âges; l’essentialisation des jeunes; la complaisance victimaire; l’assignation en groupe; la jouissance du spectacle et le narcissisme « en retour » à l’exposition victimaire

On est loin du cinéma, de ses capacité d’échapper à son « réalisme », du jeu qu’il nous propose dans les identifications.

L’article d’Alexandre Moussa dans Critikat est honnête, je l’ai même loué à nos amis. Ce qu’il dit est sensé et bien argumenté, même la partie biographique, qu’on devine obligatoire est bien amenée et signifie quelque chose… et en même temps : rien. Car son goût de la pop-non-hétéro ou non « masculine » et ses goûts cinéphilique qui transcende sa classe de base n’ont pas de valeur autrement que pour lui. Cela me fait plaisir, le connaissant à peine, de le savoir, mais si je ne le connaissais pas, et si je ne voulais pas le connaître ? Je ne pourrais passer que par le biais de l’identification, positive ou négative (excluante) pour « en sympathie » avec lui, accéder ou non au texte. Il me semble que ce « passage obligé » par la subjectivité est justement ce qui est en cause ici, et qui me gêne.

Où sont les remparts à ce subjectivisme total ? Il ne s’agit pas bien sûr de parler au nom de la dite objectivité (oh non!), mais le terrain sur lequel je suis censé « échanger » avec un texte, une œuvre de l’esprit doit-elle en passer par le subjectif supposé de celui qui l’a faite ?

On touche ici à quelque chose: la séparation de l’œuvre et l’artiste n’a aucune réalité, bien sûr, dans la création, dans le « contexte » de création. Mais la biographie de l’artiste nous est inconnue dans sa majeure partie (Mme de Lafayette est une inconnue ou une vue de l’esprit) elle est en partie inconnue de lui aussi d’ailleurs (bonjour psychanalyse). Prétendre dire la vérité de l’œuvre est déjà quelque chose, que des analyses un peu prudents ne feraient pas. Mais prétendre dire la vérité de l’artiste ? Et quelle vérité peut-être réduite à une seule chose, a fortiori involontaire ou peu s’en faut. L’exposition de la turpitude des autres. Celle-ci correspond à un cinéma du « tous pourris » que nous n’aimons pas; pas parce qu’il est noir, sans espoir, dur; mais au contraire parce qu’il est complaisant et que son seul impensé, c’est celui qui dénonce dans la satisfaction de dénoncer.

Qui tenterait d’avoir la « mauvaise place » aujourd’hui ? Est-ce encore possible ? Pasolini a certainement été de ceux-là, peu sympathiques aussi, qui se sont mis volontairement dans une mauvaise place, pas aimable et poétique, scandaleuse. Il y en a beaucoup, beaucoup plus qu’on ne croit (dans un autre genre : Simone Weil) dans l’histoire. Mais quelle serait la mauvaise place aujourd’hui : peut-on encore l’assumer ? La mauvaise place, c’est celui qui est à la fois dedans et dehors, l’homme qui « ruine le jeu avec ses deux noms » (Daney, Rio Lobo). Pasolini est scandaleux quand il loue les flics en 68 pas parce qu’il est à droite, mais parce qu’il ne sacrifie à rien d’autre qu’à une ligne qu’il s’est choisie, qui passe par l’amour des jeunes garçons pauvre et qui ne peut pas en déroger: cette ligne est logique, elle lui fait buter sur leur condition sociale et cette « scène » l’émeut plus que les étudiants, engagés dans une lutte entre eux…

Matzneff m’est sympathique (sans plus) en tant que vieux monsieur avec une élégance un peu lasse de vieux militaire, dont on sent la légère pauvreté (cette veste verte à poches de safari et de para avec laquelle je l’ai toujours vu). Pourquoi, et comment (!), le condamnerais-je ? De quel droit ?

Ces questions sont très profondes, difficiles, elles ne sont pas à écarter. Elles touchent toutes à cette zone si complexe du désir, de l’intime. Elles peuvent vite se retourner: d’où la labilité que l’on sent des accusations en ce domaine, comme toute accusation : qui n’a pas fauté, qui n’a pas mal agi sans le vouloir, qui a regretté de ne pas avoir agi, avoir été séduit par des gens fuyants. Pourquoi ceux qui fuient et qui laissent leur absence pendant des années sont-ils toujours « saufs » d’accusation ? Tout le monde laisse des traces, même les absents. Que fait-il qu’on les répète, qu’on les prolonge…? Tout cela, cette question des traces intéresse l’essence du cinéma, art d’enregistrement. Si le cinéma est tellement intéressant, c’est qu’il ne sait pas véritablement quelles traces il laisse : à ses spectateurs comme au support, à ceux qui l’on fait comme ceux qui le voit, l’ont vu, l’ont oublié ou pas. Il est comme dit Kittler : Réel (et pas réaliste ou naturaliste). Ces traces restent et on ne peut pas en faire ce que l’on veut.

un article à faire sur la question de l’acteur:

* Il y a dans le cinéma aujourd’hui – et le film de Jeanne Balibar, Merveilles à Montfermeil que tout le monde trouve raté, est pour moi de cet ordre là, dans cette utopie là, mais positive. Balibar a très bien compris que l’acteur, et plus particulièrement l’actrice est le nouveau vecteur militant: le jeu, l’interprétation et, en regard, « l’identification » (avec tous les guillemets que ça suppose) brasse des questions réellement politiques. Remettre les acteurs, ces êtres sans âmes, autrefois synonymes de glamour, est sans doute le « truc » du moment. La star (revenir à Morin ?) confondait la personne réelle et ses rôles. Actuellement, c’est presque l’inverse : s’incarne dans les rôles l’activité réelle de l’acteur.

Vincent Lindon / Adèle Haenel / tout cela vient de loin (Béart dans la lutte pour les sans-papiers, point de départ du lien avec JB). On sait bien que l’Affaire Weinstein n’a pu se faire que sur le terrain du cinéma, du « métier ».

Drôle de chose que ce soit l’acteur, pris dans sa gangue narcissique, qui devienne la figure politique motrice. L’acteur, plus le cinéaste. L’acteur opposé au cinéaste (Hadele Haenel VS Polanski). Il y a comme une revanche de l’un vers l’autre (Maria Schneider -> ). Actrice puisque

La théorie du female gaze est impossible, puisque que le male gaze, c’était des hommes regardant libidinalement des actrices en train de donner  » de leur corps » dans la scène. Iris Brey achoppe sans doute (il faudrait lire le livre) sur cette question parce que l’inverse du male gaze, c’est l’empowerment de l’actrice !

Qui a écrit sur le narcissime d’être vu, de représenter. Il est pourtant manifeste, autant que le système hollywoodien à mettre les corps féminin en valeur.

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