GIP 84-88
[En // de la gelée de Roubaud
Ma gelée à moi est intérieure, remonte. De petits amas compacts, translucides et perlés que j’extirpe un à un de la grotte des poumons jusqu’à la cavité de la bouche, où je saisis à la langue leur consistance (ils n’ont pas de goût), humorale il y a peu, cristaux liquide agglutinés patiemment par les bronches et leur passage de proche en proche vers le jour. Crachés sans couleur, sans odeur, sinon parfois une coagulation de filaments brunâtres, comme un repentir de sang frotté ou de brins de tabac. Ils tiennent tout seuls : hier (18.XII.24), me levant au petit matin (la nuit), pour aller visionner un film dans les archives de la Cinémathèque (@Montigny le Bretonneux), je tousse et libère malgré moi une alvéole, que je retrouve, petite bille de colle quasi cubique, collée sur la poitrine de mon manteau ; de l’index la récupère et la dépose en passant sur les grilles surplombant les rails, sombres & silencieux. ]
Jean Delay définit comme avant-mémoire tout ce qui, dit-il en reprenant une expression de Péguy, se situe en dehors des murs des quatre grands-parents. Moi, en cette prose de mémoire, et à ce moment dans cette prose, je ne voulais au contraire pas du tout aller au-delà de ces murs. Je voulais, plus petitement, ne tenir compte que de ce qu’à un moment ou à un autre de leur vie mes parents avaient pu connaître du passé de leur propre famille, qui est la mienne en quelque sorte au second degré, seulement ce qu’ils avaient pu entendre, lire, surprendre, savoir quand ils ont su, ou cru savoir, et par qui.
GIP 89