Film phrases

Gilda (1946)

de Charles Vidor

Je n’avais pas revu le film depuis très longtemps, et l’avais évidemment totalement oublié. Ce qui me frappe dès les toutes premières scènes, c’est le côté crypto pédé évident, petites phrases, canne épée, le sourire un peu niais (à la Tristan) de Glenn Ford, la lippe saillante d’un enfant rigolard, un rien brutal, fidèle comme un amoureux. Le film conte bien cela, l’histoire d’un homme partagé entre deux amours, et qui finit par rentrer sagement « à la maison » (la dernière réplique), dans un monde échevelé, sans cesse mais faisant tout tourner sur le regard (les « jalousies » ouvrant, image et son, sur le casino alentours), avec de très beaux plans qui durent sur les personnages, les font hésiter dans la durée, laissent le temps d’un épanouissement, d’une inflexion sur le regard (ombre dans les ou doute), une durée si rare dans le cinéma classique; elle n’est pas celle de l’exhibition attractionnelles, rien à voir, bizarrement, mais plutôt l’exposition en face d’une capacité d’attention des personnages, d’une mise en scène qu’ils se donnent à eux-mêmes, une rampe qu’ils lancent vers l’autre pour le capturer.

Les personnages ne cessent d’errer d’un lieu à l’autre, de s’asseoir et de se lever, d’avancer ou d’aller de biais, toujours à travers un entrecroisement de regard qui sont comme des fils qui déterminent leurs mouvements, rencontrent et distentions. Dans ce sens (et celui-là uniquement), le film me rappelle Deux êtres de Dreyer, avec le passage du fauteuil à la chaise, de la chaise au canapé… et cette même mélancolie féroce d’une avancée minutieuse et une sortie de ce grand échiquier mobilier déjà « balisé »; ici, l’ennemi était le metteur en scène, le grand manitou : la terrasse le salon, la terrasse, le salon, je ne serai pas tranquille tant que je ne l’aurais pas vu se poser un peu… mais s’arrêter c’est mourir.

Le film tisse un réseau de subjectivités relativement complexe, dont on apercevra en pointillé l’évolution (c’est très moderne), avec d’incessant départ et retour dans le grand bain cosmpolite du casino (un peu comme Shanghai Gesture). Les numéros musicaux sont très beau, elle est parfaite, une icône moins sexy (F a raison de dire que ce n’est pas Marilyn, le sexe bête, ou Marlène, la maîtrise totale, le « look ») que consciente d’elle-même et d’être ce qu’elle est : donc une brave fille (échos lointains de Showgirl).

Le film n’est pas plaisant que dans sa franchise autour du désir (c’est le seul sujet: qui désire quoi, et comment ce désir s’arrime à une nappe, un tissu de relations qui bouge en même temps que les personnages), il l’est dans la finesse de ses avances et reculs autour d’un monde qui est porté par des individus réels, pas conventionnel, avec parfois quelques phrases d’auteurs, mais aucune définition claire. Ce qui s’est passé dans le passé n’est jamais évoqué, et les liens obscurs des personnages font moins présence qu’il rajoutent un flou bienvenu (« je suis né la veille de vous rencontrer », disent-ils tous deux, symétriques à l’homme puissant, blond froid et limite nazi qu’il aime et qu’elle épouse – sans doute l’aime-t-elle aussi, d’ailleurs).

Le complot du tungstène, la petite fête avec la fin de la Seconde Guerre Mondiale où l’on oblige un invité à célébrer aussi, le carnaval et toutes les métaphores de l’enfermement donne un folklore particulier, et témoignent d’une générosité de l’inspiration des scénaristes. Vidor filme ça parfois un peu appuyé, toujours un peu sinueux, mais pas pour faire grand style, plutôt pour donner du mouvement et accroitre, dédoubler la fascination des personnages sur le spectateur.

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