de Sophie Fillières
Plus brouillon, plus illisible que les futurs film de Sophie, le film souffre un peu du jeu « sur un seul ton » de Judith Godrèche, qui insiste dans une position fermée questionnante mais non mystérieuse. Il manque des moments pour reprendre son souffle, et les acteurs sont dans une déclamation qui ne marche pas bien. Le prétexte (elle trouve de l’argent et un flingue, ça cause des problèmes, elle transmet le bébé à quelqu’un d’autre) ne marche pas bien non plus, trop abstrait malgré les blessures de l’arme.
Aïe étant sans doute un moment de grâce, grâce à la soeur Hélène, qui ici arrive à insuffler (connaissance de soeur, sans doute), le jeu qu’il faut à ces diables de dialogues, qui tourne en rond, hésitent et se répètent, sont à la fois « fille » et revendiqués comme tels, mais aussi fous « sur les bords » (pas comme Dubroux) et savent où ils vont. Il n’y a pas encore cette hésitation légère, cette fébrilité du langage.
Je retiens la scène très fillièresque où l’héroïne met ses pieds chaussés dans le lavabo (troisième sens du décor et des objets), celle où elle voit le beau Pierre et lui passe son pull (rouge, trop petit pour lui; le bleu rouge pris à Godard est déjà là); le moment où ils mangent du fromage (même chose que dans Un chat un chat, quand elle est seule dans l’appartement), la scène d’endormissement (encore). La scène dans cette rue en travaux, qui a totalement changée, et cet éboulement, ce désert de pierres chûes derrière les croisillons de la grille que traversent les deux amies, cette rue qui tourne, petite alors que c’est une avenue, avec un coin et un banc et et de la verdure (désormais disparus). [rue Réné Boysleve]
Il faudrait distinguer le personnel (c’est un film qu’on sent très personnel, très intime) de l’autobiographique, qui renvoie à un individu en pleine conscience de son « soi ». Le personnel est la manière dont s’inscrit, plus ou moins malgré soi, quelque chose de singulier qui fait qu’on est soi. Peut-on voir du « personnel » quand on ne connaît pas la personne ? Vraie question, qui interroge aussi la critique de cinéma. Peut-on critiquer pareil le cinéma de Sophie sans la connaître ? La politique des auteurs c’est aussi ça, former l’image de l’homme et voir en quoi ses films sont plus ou moins « personnels ».
Le film ici se distingue du reste de la production parce qu’il contient moins ce « regard » sur les choses (bien que le film est bien filmé, avec des espaces différencié et assez beau; Paul qui la regarde dans un espace, elle dans l’autre, de chaque côté de la rue), moins cette « saisie » de choses vraies et passer sous silence de la perception, moins ces moments miraculeux de rencontres frictionnelles minuscules, de joie de vivre dans les mots, de glue du langage… Le film est fermé, sombre, comme un trou noir, mais l’espèce d’éveil et de répétition de Aïe.