de Kelly Reichardt
Cadre en 1.33, une évidence de tous les gestes (elle fait le montage), de la disposition des acteurs (surtout des actrices dans l’espace), invention d’une autre temporalité, tout arrive dans un temps autre. Exemplaire en cela la scène de « crise » où Meek veut tuer l’indien et la femme lève son fusil. Rien ne le prépare, et quand elle le fait, c’est avec du temps, sans précipitation. Pareil pour l’accident de charette : tout cela se fait presque au ralenti (sans ralenti), avec seulement le temps de la gravitation et des accidents de parcours.
Le temps suspendu du western arrive avant et le coup au coeur est noyé dans cette durée étale, sans repère, tout comme l’espace est sans marque. Jamais je n’avais eu cette sensation de ne rien savoir sur rien, d’être perdu au milieu d’un espace. Néanmoins, on sait que du temps a passé : ils sont de plus en plus sale, on sait qu’ils s’acheminent vers la mort. Seul l’indien, et encore (ne serait-il pas fou, idiot ou perdui lui-même ?), pourrait les mener à un terme, un seul terme. Le sujet du film est la croyance (multiples citation de la bible, sans que la conviction semble avoir quelque chose à faire là dedans : c’est le seul livre), croyance fragile dans l’autre et en même temps « forcé de croire » : à qui fais-tu confiance se demande les uns et les autres. Meek n’est pas moins crédible que l’indien, même s’il finit lui aussi par sa ranger, tant bien que mal « sous » le choix des autres.
L’arbre découvert à la fin est aussi double que le reste: à moitié sec, à moitié vert.
La voix de l’indien, maugréant, chantant ou parlant seul.
Les robes pastels des femmes, les rapports aux bêtes.
Le son m’a semblé très étonnant: les multiples conciliabules du film, où l’on voit les hommes discuter d’un côté, le son loin, et les femmes, quelques mètres derrière, silencieuse ou parlant, les observant. Le bougonnement, les strates de voix (l’enfant lit la bible, on passe à côté et cette voix couvre presque celle de ceux qu’on observe).
Rapport homme-femme toujours très singulier, avec une égalité de principe (du côté de la cinéaste, donc du côté des personnages) dans l’échange, l’évaluation, l’intelligence.