de Leo McCarey / Garson Kanin
Merveilleux film, réalisé par Kanin en majeure partie qui ne démérite pas. La différence que je vois, c’est un surplus d’efficacité donc un moindre flottement, des temps morts raccourcis et une émotion qui valse moins dans les extrèmes. Cela n’empêche pas la réussite complète du film, un peu plus roide et lisse, plus hawksien en fait (l’intrigue s’y prête).
Le scénario est extraordinaire; il repose entièrement sur un trait psychanalytique : « on sait tout ce qu’il y a à savoir, l’important c’est de le dire ». Comment annoncer, dire, exprimer moins ses sentiments qu’une vérité (de polichinelle). Cet « embarras » (terme qui convient si bien au cinéma de McCarey) à dire se double de toutes sortes d’actions et de mots parasites, raffinés à l’extrème. Le feuilletage du scénario est éblouissant : chaque détail compte, resurgit à un moment, vient nourrir quelque chose ici et donner de la pesanteur et une intelligence supplémentaire au récit ou à la psychologie (ex: la confrontation Cary Grant / juge se double d’une confrontation Yale / Havard). Le film, comme tous les McCarey, exige la mémorisation des détails pour suivre ces lignes dispersées qui en fait « n’en font qu’une », épaisse et « fouillée ». C’est le plaisir du jeu qui prime ici, l’invention baroque de raffiner les modes d’approche du lien social, qui doit s’inventer dans le cadre contraignant de la famille nucléaire à la chambre maritale avec lits séparés. Situation parallèle du côté du Code (Hays tout aussi bien) : il est au fond à ce quoi personne ne croît et son opposé (ici le sexe, ailleurs la violence), autour duquel tout le monde tourne autour, est également un enjeu dérisoire (plus ici que chez Lubitsch). Une femme qui a vécu 7 ans avec un homme sur une île déserte sans coucher avec lui est impossible, soupçonné par tous et finalement « miraculeusement » oublié. L’homme est d’ailleurs présenté comme un homosexuel (Cary encore dans des vêtements de femme dans le miroir, va voir un « ami » au YMCA, qui ne mange que des carottes). Les jeux deux à deux autour d’un couple modèle (dont les enfant redoublent la binarité homme/femme).
Le film serait à revoir pour un « la différence des sexes est-elle visible »? Mais aussi (et surtout) pour la manière dont, avec une économie de moyen étonnante, le film fait apparaître mille moments de burlesques, qui ne sont pas tant des moments de surprises que des enchaînements de causes et de conséquences (comme chez Keaton): le burlesque c’est le legato infini qui, à force de ne pas « lâcher » les choses, épuise le sens et les choses elles-mêmes.
Il y aura aussi, pour le début, un élément à ajouter à un article sur les chiens (et les chats) chez Mc Carey.