de Arnaud Despallières
Je suis réservé sur le film, comme après sur toute démonstration de beauté qui « en impose ». Il est certain que la voix de Lonsdale, qui allonge l’écart entre les mots d’une lettre magnifique de Degas sur le travail, la vieillesse et l’activité, avec la musique de Schubert étirée au maximum, et ce flottement de vitesse de la pellicule, aux teintes vertes et chaudes, tout cela marche bien. Lonsdale dépenaillé (il faudrait voir comment les grands acteurs de la modernité sont « mal traités » par les cinéastes d’aujourd’hui, dans leur grande vieillesse. SD avait remarqué que les réalisateurs américains étaient devenus acteurs pour les modernes, Nicholas Ray le devenant pour Wenders. Mais les acteurs eux-mêmes, aujourd’hui, de Léaud pourrissant chez Serra à Emmanuelle Riva étouffée par Haneke, sont méchamment traités par les cinéastes, comme des corps-cadavres de ce cinéma de l’hypostasie qu’ils ont contribué à former.
L’opposition, comme toujours chez AD, est schématique et me fait penser à Stéphane Delorme. Évidement et « mal écrire » que l’on retrouve dans cette simplification qui écarte ce qui gêne, refoule ce qui risquerait de détourner le regard d’un discours encerclé, ne disant « que ce qu’il a dire ». À la fin, le dos insistant de la fille lors de son témoignage, que l’on suit de l’Opéra jusqu’à un hôtel du 9e, le récit avec la voix moins étonnante et travaillée de la jeune fille, qui passe par la pédophilie, les coups dans le dos pour cambrer celui-ci, jusqu’à l’antisémitisme délirant et exacerbé de Degas (il ne voudrait pas d’objets achetés chez un juif) et son « insoumission » qu’elle paie cher (4 francs), tout cela est à la fois vrai et mérite d’être raconté, mais reste ambigu. On sort du film en se sentant trompé, joué par un artifice. Lequel ? Que le terrain a été préparé pour nous brusquer par ses paroles, brutaliser notre émotion engagée dans les images précédentes. Le film se scindant totalement de manière binaire (Vieux monde/contemporain; intérieur/extérieur; vieux mec/jeune fille, peintre/modèle, célébrité/anonyme, riche/pauvre, danse/marche, face/dos…), cette binarité qui en réalité n’en est pas une dans les mots, mais oui pour tout le reste, imprime au texte une lourdeur et une culpabilisation qui n’est pas très sympathique.
Le refus de montrer la jeune fille, en filmant ce « dos qui insisterait » est un truc pénible, dont on ne tire rien de bien satisfaisant. F avait raison d’évoquer la fin conne de l’Appollonide et ses vraies putes sur un bout de trottoir.
Sinon, le jeune peintre qui est censé être Degas, avec sa jolie moustache est son coup de crayon habile, est tout à fait séduisant et parfaitement ridicule.