Histoire invraisemblable, filant sans s’arrêter entre le toc conscient, vain et plat du décorum sans âme des situations sociales qui se donnent à voir elles-mêmes (la pièce privée du restaurant qui « donne » d’un côté sur une chambre fermée, de l’autre avec un balcon sur la piste de dance; scène « plate » du jardin où lui et elle nous font face longuement, entourés d’un décor de jungle artificielle; mais autant l’appartement modeste où à chaque fois qu’on ouvre une porte, se cache le petit argent decompté sous à sous) et le regard distancié, ironique, amer, d’un sans-place qui joue un bon moment le rôle de l’écran entre toutes les classes, uniquement bourgeoises, des plus modestes (à tous les sens du terme) aux plus aisées et indifférentes, pour les tourner en dérision mais sans plus d’effet, au final, qu’un peu d’amertume déposée sur toute chose.
Cette satire implacable, froide et désabusée de la publicité et, allant, du jeu social, est incarnée par Vittorio de Sica en 1943 (ironie de plus). C. arrive à montrer l’essentiel, surprendre par un montage venu toujours à point nommé découper les visages, pour leur imprimer une fatalité de solitude, un non rapport avec les autres, et y laisser un soupçon de tendresse supérieure et distante pour ces êtres exposés, sans qu’on ne cerne rien, au fond, de leurs motivations profondes, victimes qu’ils sont de toute situation du tournage.
Cruauté presqu’en indifférente (c’est le destin du Scénario) et gêne à tous les étages que rien ne semble racheter. Gêne non du pouvoir, de la séduction, ni même de l’argent : gêne essentielle à ce que des sentiments véritables, chez les personnages, puissent s’échapper de situations entièrement fausses, aux prolongations totalement bouchées, sans espoir de vérité ni de mouvement à l’horizon. On sent là toute la tradition de la comédie italienne mais aussi une lucidité qui va jusqu’au bout (où pointe la conscience d’un futur faiseur de mélodrame qui sait où il va) et considère la vie comme essentiellement enfermée et tuée par les apparences (étrange conscience pour un cinéaste).
L’apparition du directeur de magasin, très réussie, comme un pauvre ère, un juif russe (on pense à Yvan le Terrible de S. M. E. et sa barbiche, comme sécularisé — cf. photo), être surnaturel en plus, qui est dans les rêves (un nuage eclairé, des étincelles etc.), au nom évocateur Tuns (thunes?), aussi bien anglais allemand, pas de ce monde. Une mélancolie spécifique à la tristesse des halls d’entrée (c’est la nuit, tout le monde est parti vaquer à sa vie hors du travail, ne reste que le vieux gardien endimanché par sa fonction), ce lieu d’entrées-sorties coïncidant tellement avec le moment ce moment de révolution abstraite (le téléphone) et l’espérance naïve de l’escroc que ce cœur film, où chacun prend le temps de sentir la soupe du pauvre, est sans doute, entre deux murs, le cœur secret du film.